LE MONDE RETIENT SON SOUFFLE

Publié le par Anomalie

 

De Dakar à Sao Paulo, de Chicago à Nairobi, en passant par Tokyo, Berlin ou Paris, le monde retient son souffle. Jamais une élection présidentielle aura à ce point revêtu une dimension planétaire. En cas de victoire de Barack Obama, des centaines de millions de personnes, voire un milliard d’êtres humains selon certains observateurs, s’apprêtent à déverser leur joie dans les rues. Si la charge symbolique projetée dans la personne de Barack Obama dépasse de loin l’enjeu rationnel que représenterait sa victoire, elle n’en incarne pas moins l’un de ces moments clés qui font l’Histoire. Une telle communion à l’échelle du globe, c’est tout simplement du jamais vu. Quelle que soit l’issue du scrutin, on se souviendra de l’élection présidentielle américaine de 2008 comme de la première élection-monde de l’Histoire. En attendant, c’est un climat de ferveur mêlée d’anxiété qui domine les centaines de kilomètres de files d’attente pour les bureaux de vote du pays. Les journalistes présents sur place décrivent une atmosphère de recueillement démocratique et de fête pour un scrutin qui devrait selon toute vraisemblance se traduire par une explosion sans précédent de la participation. Cette élection est donc bien plus que la stricte répétition d’un cérémonial démocratique bicentenaire. Les Américains savent que le monde a les yeux braqués sur eux ; l’Amérique sait que le monde attend d’elle qu’elle recouvre ses valeurs de fierté et de liberté piétinées par les marcheurs au pas de l’oie néoconservateurs. Jamais dans l’Histoire récente du pays, l’image du « phare de la démocratie » n’avait été aussi dépréciée de part le monde. Ce mélange de pulsions dominatrices et de bellicisme agressif qui a caractérisé l’ère Bush a fait un tort difficilement imaginable à l’Amérique. Ce que les peuples de la Terre semblent demander à Barack Obama, c’est un abandon des chimères nationalistes des néoconservateurs et de leurs ambitions éculées de « domination mondiale bienveillante ». À la vision impériale d’un Président du monde, ils veulent substituer la vision d’un Président-Monde.



Alors bien sûr, il y a les apôtres qui croient reconnaître en Obama un nouveau Messie, qui va révolutionner les relations diplomatiques et apporter une ère de paix et de prospérité sur la Terre ! Ceux-là risquent d’être déçus, et assez vite ! L’Amérique ne renoncera pas, avec Obama, à son ambition messianique de gendarme du monde, quasiment inscrite dans ses gènes. Une victoire de Barack Obama se situerait davantage dans une sphère symbolique que contingente : en constituant un véritable électrochoc bénéfique à travers le monde, la tâche de ceux qui ne rêvent que de détruire l’Occident et ses valeurs sera plus ardue. Les islamistes perdront ainsi leurs meilleurs alliés objectifs, ceux qui n’ont eu de cesse par leur vision bêtement manichéenne d’apporter l’eau qui manquait à leur moulin, tout en étant persuadés d’être ceux qui asséchaient leurs puits. C’est la raison principale des éructations millénaristes de ces néoconservateurs en pleine déconfiture, qui n’ont plus que la réactivation permanente d’une stratégie enfantine de la peur pour maintenir coûte que coûte leur empire nuisible dans le domaine des idées. Comme le dit remarquablement bien Bernard-Henri Lévy dans son bloc-notes du Point le 30 octobre dernier :


[…] On se souvient de la théorie de Samuel Huntington sur le fameux « clash » des civilisations censé opposer « the West » et « the rest », l'Occident au reste du monde, l'Amérique à l'Islam. Cette théorie est, heureusement, discréditée. Elle est jugée, par tout ce que le monde compte d’esprits raisonnables, sommaire, bêtement guerrière, inattentive aux failles qui traversent les prétendus « blocs » des prétendues « civilisations », réductrice. Mais, à lire la presse des derniers jours, à voir la fièvre qui s'empare des deux électorats, à observer avec quelle ferveur des jeunes gens qui n'avaient jamais, jusqu'ici, songé à s'inscrire sur les listes électorales s'apprêtent, cette fois-ci, à voter, on a le sentiment de voir ladite théorie trouver là, dans cette affaire, un champ d'application aussi exact qu'imprévu : comme si le vrai clash, la vraie querelle, le vrai choc des vraies civilisations, était là, dans l'affrontement entre les partisans d'Obama et ceux d'un McCain qui laisse dire à sa colistière, Sarah Palin, que Moïse était le contemporain des dinosaures, que le créationnisme devrait être enseigné dans les écoles au même titre que le darwinisme ou que les Etats à majorité démocrate ne sont pas tout à fait « américains »…


Non que Barack Obama, de son côté, soit l'homme providentiel dont la seule apparition suffira à effacer cette part maudite de l'idéologie américaine. Et on ne tardera d'ailleurs pas, s'il est élu, à voir déchanter, en France même, les électeurs par procuration d'un homme politique, exceptionnel certes, mais qui n'est qu'un politique et non l'incarnation d'une humanité nouvelle, citoyenne du monde, métisse, ni, encore moins, je ne sais quel Che Guevara expiant tous les péchés de l'Amérique sur l'autel de la Justice éternelle.

 

 

Mais en même temps…

 

Obama président, ce sera, qu'on le veuille ou non, un autre visage pour un pays ravagé par les années Bush.

 

Obama président, ce sera, même s'il ne quitte pas tout de suite l'Irak, un vrai virage de sa politique étrangère dans le sens du multilatérisme et de la main tendue au monde.

 

Obama président, ce sera, sur le plan intérieur, un principe d'unité pour une société qui n'a jamais été si divisée, balkanisée, tribalisée, qu'en ces sombres temps où l'héritage des ségrégations anciennes trouve un paradoxal renfort dans la correction politique propre aux communautarismes postmodernes.

 

Obama président, ce sera l'épilogue, en ce sens, d'une longue et belle histoire engagée aux lendemains de la guerre de Sécession, poursuivie par les partisans de Martin Luther King et au vu de laquelle les mandats de George W. Bush feront vite figure de parenthèse désenchantée.

 

Obama président, ce sera, sur le plan social, la mise en route de ce fameux plan de couverture santé universelle dont l'absence était une tache, un incompréhensible déshonneur, pour cette grande démocratie.

 

Et Obama président, ce sera un programme économique enfin (politique fiscale allant dans le sens d'une relance par la demande, aide aux collectivités locales les plus touchées par la crise immobilière, régulation d'un capitalisme dont l'intelligence quasi diabolique échappe à ses propres acteurs) qui est le seul à pouvoir, lentement mais sûrement, réparer les dégâts commis par des décennies de règne de l'école de Chicago.

 

 

C'est tout cela, à n'en pas douter, que sent le peuple américain […].



Même si je partage l’analyse de fond sur l’héritage néoconservateur et le choc positif que constituerait une victoire de Barack Obama, je ne serais pas aussi optimiste que Bernard-Henri Lévy concernant une présidence Obama. Pour plusieurs raisons.

 

 



Premièrement, qu’on le déplore où qu’on s’en réjouisse (et vous savez que sur notre blog, nous le déplorons, ô combien !), la révolution néoconservatrice est loin d’être terminée, et d’avoir donné toute la mesure de sa nuisance. Elle a engendré un bouleversement de fond pavant pour longtemps le chemin de l’Amérique, et il ne sera pas aisé d’en sortir. Un exemple : l’Irak. Aussi curieux que cela puisse paraître, je ne suis pas convaincu par l’argument d’Obama sur le rapatriement rapide des troupes américaines au pays, c’est un euphémisme. C’est un peu comme si un gamin fou avait dévasté la chambre d’un copain, et que son père lui disait au bout de quelques heures : bon, c’est pas grave, gamin, t’as fait une connerie, mais finalement je te dispense de remettre cette chambre en état. L’intervention en Irak était une folie contre-productive, on le sait. Mais maintenant ? Le piège des néoconservateurs est redoutable : le chaos engendré par leur action a contraint l’Amérique à y rester, sous peine d’ajouter la faute au déshonneur. Si Obama devait finalement décider de quitter le pays, et que les violences intercommunautaires venaient à exploser, gageons que les néoconservateurs s’empresseraient d’en conclure que leur vision des choses était juste ! Si la honte et les mensonges les étouffaient, depuis le temps, ça se saurait !

 

 


Deuxièmement, il n’est donc pas certain qu’aucun néoconservateur ne figure dans un hypothétique gouvernement Obama. La vigilance demeure pour tous ceux qui ne voient pas les choses en noir et blanc, et qui savent que Barack Obama à la Maison-Blanche ne constituerait pas une rupture totale avec un passé délétère, mais que la continuité et la Realpolitik finissant par primer une fois l’effervescence de la campagne passée.

 

 


Enfin, il ne faut pas oublier que Barack Obama est bien éloigné des caricatures que se plaisent à dessiner ses opposants comme ses partisans. Inutile de dire que l’on s’apercevra vite qu’il n’est pas le « socialiste » furieusement décrit par une Sarah Palin qui ne recule devant aucune ineptie, et encore moins le « musulman caché » au programme « crypto-terroriste » comme ont tenté de le faire croire de petits racistes jouant des réflexes de repli et de l’ignorance de leurs électeurs. Mais Barack Obama risque également de décevoir nombre de ses partisans irrationnels, qui ont projeté en lui leurs espoirs de vie meilleure, leur soif de rédemption, ou leurs aspirations communautaristes. Barack Obama, et c’est tout à son honneur, n’a en effet jamais joué la carte raciale et communautaire et s’est présenté comme le candidat de tous les Américains.

 

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