2001-2008, L’HEURE DU BILAN : GEORGE W. BUSH, MEILLEUR ALLIÉ OBJECTIF D’AL QAIDA
On s’en doutait un peu, mais on avait sous-estimé l’ampleur du désastre. Après huit années à la tête des Etats-Unis, George W. Bush laisse un bilan désastreux en matière de guerre contre le terrorisme. Influencé par les néoconservateurs, George W. Bush, piètre homme politique, malléable et falot, n’a pas été en mesure de contrer la transformation de la « War on Terror » en une croisade idéologique pour « l’hégémonie américaine bienveillante ». Le 11 septembre 2001, « nous étions tous américains ». Le 11 septembre 2008, l’antiaméricanisme dans le monde a atteint des sommets jamais égalés. Le 11 septembre 2001, il a été décidé d’abattre le sanctuaire terroriste de l’Emirat Islamique d’Afghanistan. Le 11 septembre 2008, Al Qaida menace non seulement l’Afghanistan, mais a reconquis le terrain en Algérie, au Yémen, dans le Sahara, et surtout, lance désormais ses combattants à l’assaut de la seule puissance nucléaire du monde islamique, le Pakistan. Pourquoi un tel fiasco ? Le point nodal de cette catastrophe, c’est l’invasion américaine de l’Irak. Le cynisme des néoconservateurs était tel qu’ils n’ont jamais caché leur dessein ; que ce soit au travers des déclarations du Projet pour un Nouveau Siècle Américain, ou des conclusions du document « Clear Break », ou encore des multiples travaux des lobbyistes auprès de la Maison-Blanche et d’hommes politiques républicains et démocrates, ils ont annoncé la couleur. Un « nouveau Pearl Harbor » constituerait une divine surprise permettant de vendre à l’opinion leur projet de transformation du Moyen-Orient, dont la première étape doit être un changement de régime en Irak. Le 11 Septembre a fourni ces conditions inespérées : sans même attendre cinq jours, les néoconservateurs, par la voix de Donald Rumsfeld, préparaient la Propagandastaffel pour lier Saddam Hussein aux attentats. En faisant passer obsessionnellement leurs chimères idéologiques de recomposition du Grand Moyen-Orient avant toute anticipation des conséquences de leurs actes, ils ont ainsi dilapidé le capital sympathie colossal dont jouissait l’Amérique après les attentats, ils ont jeté des centaines de milliers de musulmans dans les bras de l’islamisme et du djihadisme, ils ont soudé les masses arabo-musulmanes autour de la haine du « Grand Satan », ils ont favorisé l’éclosion de pépinières du terrorisme. On ne pouvait imaginer désaveu plus cinglant pour les options stratégiques défendues par les inspirateurs de ce naufrage intellectuel et politique.
Huit années de présidence Bush jettent enfin une lumière crue sur ce dont les spécialistes les plus aguerris n’avaient cessé de mettre en garde : les néoconservateurs sont les meilleurs alliés objectifs d’Al Qaida et du terrorisme islamiste. On appelle cela des idiots utiles, des idéologues irréfléchis, pétris de clichés simplistes et d’images d’Epinal théoriques, dont l’action empreinte de naïveté, d’ignorance et de platitudes rhétoriques, concourt à renforcer l’ennemi qu’ils prétendent combattre. D’autres, plus minoritaires, poussent sciemment à la stratégie du chaos pour justifier a posteriori une guerre pour la civilisation, dont le point d’orgue doit être une lutte à mort contre l’Islam. Appuyés par les fondamentalistes néo-chrétiens, ils entendent mener la croisade à l’extérieur, en vertu de la supériorité de la civilisation judéo-chrétienne, et imposer, à l’intérieur, une contre-révolution moraliste fondée sur les principes religieux.
Tour d’horizon planétaire des conséquences tragiques de l’action de ces idéologues.
Avant tout, prenons quelques minutes pour rappeler les objectifs de la « guerre contre le terrorisme », tels qu’ils ressortaient des proclamations même de ses instigateurs. Premier volet : l’Afghanistan. Il s’agissait de localiser et de neutraliser Oussama ben Laden, de faire tomber le régime des talibans, et de priver ainsi Al Qaida de son sanctuaire. Résultat ? Oussama ben Laden court toujours. Les talibans, naguère haïs par des Afghans exténués, ont certes été chassés du pouvoir, mais ils se renforcent et capitalisent sur les conséquences désastreuses des « dommages collatéraux » sur une population civile qui constitue à nouveau un vivier de recrutement. Enfin, Al Qaida n’a jamais été aussi puissante dans la région depuis 2001. Échec total !
Récapitulons : pendant que les Américains s’épuisaient à réparer les dégâts de leur invasion préparée par les néoconservateurs, Al Qaida recrutait tranquillement et se renforçait dans ses bastions originels. Fidèles à leur incomparable myopie stratégique, les neocons exultaient des coups « fatals » portés à Al Qaida en Irak, en essayant de faire oublier qu’ils ont eux-mêmes enfanté le chaos permettant à l’organisation d’Oussama Ben Laden de s’y implanter ! Ce que leurs œillères idéologiques leur interdisaient en revanche de comprendre, c’est qu’Al Qaida a progressivement engagé une démobilisation de ses combattants du terrain irakien pour les délocaliser sur les autres fronts du djihad. Les filiales algériennes, yéménites et afghanes de l’organisation terroriste ont ainsi reçu un afflux massif de moudjahiddin. En Afghanistan, cet afflux est tel que les talibans « locaux » sont désormais supplantés par les unités arabes (en grande partie irakiennes) du djihad déterritorialisé. Difficile de faire comprendre cela aux « intellectuels » du Weekly Standard dont la vision stratégique est à la complexité ce que le monde des Bisounours est au réalisme. Pourtant, ils ont été prévenus, et par des personnalités de leur propre camp, qui ont refusé de laisser leur lucidité se noyer dans l’aveuglement idéologique. Francis Fukuyama, pourtant néoconservateur, précisait le 25 juin 2007 que « la politique étrangère américaine se trouve aujourd’hui dans une situation critique. Nous avons réussi l’exploit de nous placer en opposition avec la presque totalité du monde. Loin d’avoir pu améliorer la situation en matière de terrorisme, nous l’avons même aggravée ». Daniel Pipes alertait déjà ses « amis néoconservateurs » en 2005 sur les conséquences de leur politique : « un retrait trop brusque des tyrannies ouvre la voie vers le pouvoir à des idéologues islamistes déchaînés ».
Le Figaro du 10 septembre 2008 rapporte [1] : « La majorité des insurgés qui ont tendu une embuscade aux soldats français le 18 août 2008 dans la vallée d’Uzbeen « n’étaient pas afghans », a récemment affirmé le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant. D’où venaient-ils ? Surtout du Pakistan voisin. Mais aussi d’Irak, où les combattants islamistes arabes ont longtemps fait le coup de feu contre les troupes américaines. Tous les spécialistes le reconnaissent : derrière l’insurrection pachtoune qui veut chasser d’Afghanistan les troupes « d’occupation » étrangères se profile l’influence d’Al Qaida et de Ben Laden. « Al Qaida s’est reconstruit sur les ruines de l’après-11 Septembre en bénéficiant du soutien des zones tribales », explique Dominique Thomas [2], spécialiste des mouvements islamistes à l’École des hautes études en sciences sociales, l’EHESS. Une zone à cheval entre le Pakistan et l’Afghanistan, peuplée de Pachtounes, qui circulent librement d’un pays à l’autre sans tenir compte de la ligne Durand, l’immense frontière de 2 400 kilomètres tracée par l’empire britannique en 1893. En quelques années, les talibans et leurs complices étrangers d’Al Qaida, Libyens, Marocains, Yéménites, Égyptiens, se sont recréé un nouveau sanctuaire au Pakistan. Ce pays nucléaire et instable est devenu le principal lieu de passage des djihadistes du monde entier, qui y sont entraînés dans des camps militaires ».
« Transformées en une sorte de mini-Afghanistan où sont appliquées les normes talibanes (comme en Afghanistan, les écoles sont brûlées, les femmes traquées, la loi coranique est devenue la seule norme en vigueur, ndlr), « les zones tribales pakistanaises sont le nouveau centre de gravité du terrorisme international, le nouveau quartier général d’Al Qaida et des talibans où sont préparées les opérations contre les Américains et les Occidentaux », explique Rohan Gunaratna, l’un des meilleurs spécialistes d’Al Qaida, expert dans un centre consacré au terrorisme international à Singapour [3]. Car la pieuvre, même si elle s’est tapie dans l’ombre, reste prête à bondir. Au Pakistan, donc. En Irak, où l’organisation demeure « dangereuse », de l’avis même du général Petraeus. Au Yémen, la patrie de Ben Laden, où les islamistes reprennent du poil de la bête (sous le nom « d’Al Qaida dans le sud de la Péninsule arabique – Brigades des soldats du Yémen », ndlr). Au Maghreb, où les candidats pour la guerre en Afghanistan sont de plus en plus nombreux. En Mauritanie et dans le Sahara, où leur implantation et les menaces qu’ils font peser sur les intérêts occidentaux furent à l’origine de l’annulation du Paris-Dakar en janvier dernier. Mais le véritable succès d’Al Qaida depuis deux ans est sans doute politique. « Ils ont imposé leur label. Dans le monde entier, les groupes islamistes salafistes se placent sous la bannière d’Al Qaida. Ils ont réussi à disséminer leurs idées et leur mode opératoire partout, c’est une grande victoire », estime Dominique Thomas. C’est ainsi qu’en 2007 l’ancien GSPC algérien, Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, s’est transformé en Aqim, « Al Qaida au Maghreb Islamique ». En quelques années, la nébuleuse a réussi à internationaliser, grâce à une forte propagande, le discours de plusieurs groupes locaux ou régionaux ».
Le Pakistan est aujourd’hui au bord du chaos. Soutenu à bout de bras par les Etats-Unis, le Président Pervez Mousharaf a constamment joué un double jeu : alliance occidentale de façade à la « guerre contre le terrorisme », stratégie du pourrissement dans les zones tribales du Waziristan. Or, et les Américains auraient dû le savoir, aucune stratégie efficace de lutte contre les talibans en Afghanistan ne pouvait faire l’impasse sur les talibans du Waziristan. Au lieu de cela, ils ont laissé la situation entre les mains du pouvoir pakistanais, corrompu, dont les membres des services secrets entretiennent des relations troubles avec les islamistes. Résultat ? La population pakistanaise fait face à une vague d’attentats sans précédent dans le pays. Des affrontements interconfessionnels meurtriers entre chiites et sunnites déchirent la zone tribale de Kurram, dans le Nord du pays. Le journaliste Eric Laurent écrivait le 26 janvier 2008 : « officiellement allié des Etats-Unis, le régime pakistanais a continué de soutenir en sous-main les talibans et de favoriser la sanctuarisation des dirigeants d’Al Qaida dans les zones tribales qui, théoriquement, échappent à son contrôle. Dans ce contexte, Washington a commis deux erreurs majeures, aux conséquences énormes : 1) Se détourner du dossier afghan, après le renversement du régime taliban, pour préparer l’intervention militaire contre l’Irak. La traque des dirigeants d’Al Qaida, leur neutralisation ainsi que celle des unités talibanes auraient certainement permis de réduire le niveau de la menace terroriste. 2) Cette erreur d’évaluation s’est doublée d’une confiance aveugle en la capacité affichée de Musharaff d’endiguer la menace islamiste. Entre 2001 et 2007, les Etats-Unis ont versé, dans le cadre de la lutte contre la terreur, plus de 10 milliards de dollars au Pakistan. Une large partie a été détournée par les militaires. Un expert militaire américain, récemment en tournée d’inspection dans ces zones tribales, a constaté, indigné, que les soldats pakistanais chargés de surveiller cette zone accidentée et enneigée, étaient équipés d’armes usagées et portaient aux pieds de pauvres sandales d’été ».
Une action coordonnée de lutte contre les talibans entre les Américains et le précédent pouvoir pakistanais avait pourtant la faveur de la population, en 2002. Au lieu de cela, constatant l’erreur majeure de stratégie effectuée, les Américains sont de nouveau tentés par le démon de l’unilatéralisme. Le 3 septembre 2008, les troupes de la coalition stationnées en Afghanistan ont fait une incursion au Waziristan, tuant 3 islamistes. Du coup, l’antiaméricanisme flambe dans le pays, et le nouveau Président Asif Ali Zardari, le veuf de Benazir Bhutto assassinée au début de l’année, doit faire face à des manifestations téléguidées par les islamistes, qui menacent à chaque instant de tourner à l’émeute. Une situation explosive dans un Etat qui dispose de l’arme nucléaire… Les néoconservateurs qui poussent à cette stratégie perpétuent alors la même dramatique erreur d’appréciation : en intervenant tardivement de manière unilatérale sous prétexte de lutte contre les talibans, ils s’apprêtent à susciter une explosion de colère dans la population pakistanaise, qui sera exploitée par les islamistes… Les mêmes causes produiront les mêmes effets…
Le plus consternant dans tout cela : qu’il reste une cohorte d’idiots utiles pour gober la propagande du néoconservatisme, dont les faits condamnent pourtant un peu plus chaque jour l’inanité. Que ces idiots utiles soient de tristes ignorants volontaires, qui continuent à répandre mensonges et manipulations pour sauver les derniers résidus d’un mythe en lambeaux, ou de sincères crétins lobotomisés par le manichéisme simpliste qui affleure de chaque publication néoconservatrice, la question reste la même : trancheront-ils ce lien qui unit leur courant de pensée à la propagation de l’islamisme ? Sûrement pas… L’Histoire se chargera alors de trancher pour eux.
[1] « Sur la défensive en Irak, Al-Qaida revit en Afghanistan », le Figaro, 10 septembre 2008.
[2] Dominique Thomas : « Les Hommes d'al-Qaida », Michalon, 2005.
[3] Rohan Gunaratna : « Al Qaida, au cœur du premier réseau terroriste mondial », Autrement, 2002.