JE SUIS UNE LÉGENDE DE FRANCIS LAWRENCE : LA CRITIQUE CINÉMA DE FREDERICK SIGRIST

Publié le par Frederick Sigrist

I am a Legend de Francis Lawrence, avec le chéri de ses dames, Will Smith, est sorti en DVD. L'occasion de relire la critique de Frederick Sigrist et sa mise en perspective avec l'ouvrage éponyme de Richard Matheson.


Autant l’avouer tout de suite, je m’étais préparé à conspuer ce film, pour de multiples raisons… Certaines objectives, d’autres beaucoup moins. La première et la plus importante étant, tout d’abord, que j’ai adoré le livre dont le film « s’inspire ». Je suis une légende de Richard Matheson est avant tout un livre introspectif dans lequel le héros, Robert Neville, un homme parmi tant d’autres, devient un être exceptionnel de façon contextuelle. Version papier, rien chez lui ne le prédestinait à un destin singulier, ce qui l’oppose déjà en soi à son homologue cinéma, le film ayant misé en bloc sur l’iconisation d’un Will Smith aux muscles saillants… (Qu’il entretient d’ailleurs avec soin dans un monde où il n’a désormais plus que ça à faire !).

Je suis une légende version roman était un titre plein d’ironie désabusée, un pied de nez à l’ethnocentrisme de l’humanité ; le titre Je suis une légende de son pendant cinématographique se lit au premier degré. Sans déflorer la fin, Will Smith devient bel et bien une légende ! À ce stade, on a donc droit à un viol en règle de ce qui faisait l’attrait du roman. En effet quel est l’intérêt d’une telle adaptation si l'on en expurge la sève polémique qui en a fait une oeuvre culte ? On peut se poser la même question au regard de l’adaptation cinématographique de la Croisée des mondes qui souffre du même défaut… Viendrait-il à l’idée de quelqu’un d’adapter Superman sans parler du mythe de la destruction de Krypton, sans Loïs Lane, Lex Luthor ou le fameux « S » emblématique ? Ah attendez ! On me souffle dans l’oreille que cette version a failli se retrouver à l’écran… Bon, soit… Conclusion : la bêtise des producteurs de cinéma américains a ceci de commun avec l’univers qu’elle est en perpétuelle expansion ! Au lu de ces quelques lignes, mon constat face au film devrait être sans appel, pourtant non… J’ai aimé ce film !

Oh certes, ça n’est pas un film culte qui mérite qu’on en parle à ses petits enfants des trémolos dans la voix, mais force est de constater que c’est une bobine honnête qui tient la route. Cela doit déjà beaucoup à la présence et au jeu de Will Smith qui porte véritablement le film sur ses épaules ! Smith distille une réelle épaisseur à cette version de Robert Neville ; alors on peut regretter ce que ce film n’est pas, mais néanmoins admirer ce que ce film parvient à être. On se surprend chemin faisant à vivre la solitude de Neville, à rire avec lui, à pleurer également… Bref tout ce que l’on attend basiquement d’un film de divertissement hollywoodien de bonne facture… Et dieu sait que ces derniers mois ont été chiches en œuvre de ce genre (Koff ! Transformers !).

L’autre point positif de ce film est d’ordre architectural, la photographie et le travail effectués par le chef décorateur sont exemplaires, ce New York vide de toute vie, bien qu’assez peu original par les temps qui courent (28 jours plus tard, Heroes, etc.) réussit à s’imposer à nos sens comme une réalité. Et si l’on excepte l’utilisation hasardeuse du tout numérique, qui je le répète est à la fois une bénédiction et un fléau pour le cinéma moderne, on s’y croirait. 

Alors où est-ce que ça a coincé pour moi me demanderez vous ? Les infectés ! Cousins bâtards des Reavers de Blade 2 (en moins bien réalisés, ce qui est un comble pour un film qui a déjà 4 ans !) et des mutants troglodytes de The Descent (Bien plus effrayants !). On a là droit à des opposants sans consistance, iniques, benoîtement bestiaux, dénués d’une psychologie qui fait pourtant l’intérêt, une fois de plus, de leur contrepoint romancé. À cela s’ajoute une fin lénifiante, inutilement pieuse, dont on se demande si elle est le fait du scénario ou de la foi nouvellement ravivée de la star du film. 

Je n’ai rien contre la théologie mais quand elle se fait trop présente et apparaît comme un moyen vulgaire de combler les carences scénaristiques d’un film, ça me dérange ! C’est d’ailleurs ce point qui a motivé la rédaction de cette critique car il y a dans l’opposition thématique du livre au film, un schisme plus profond, qui me semble diviser notre société aujourd’hui.



Matheson optait dans son livre pour une fin où la vie, l’évolution, avaient le dernier mot, la civilisation et surtout la culture n’étant donc plus l’apanage de l’humanité. Les yeux de Matheson étaient résolument tournés vers l’avenir et l’adaptation à un nouveau système : une néo-humanité. C’était une fin éminemment moderne, mais le film lui, nous dit que si nous préservons nos fondamentaux quasi-médiévaux comme une foi aveugle dans le Créateur, alors une figure christique s’élèvera (une nouvelle fois !), et nous sauvera de la géhenne ! Ces deux façons de voir se retrouvent dans bien des sujets, notamment dans nos préoccupations concernant le réchauffement climatique ! Faut-il opter pour une Décroissance molle, ou une Croissance raisonnée, car après tout la Terre a quand même été créée pour que l’Humanité en profite (C’est l’argument des chrétiens fondamentalistes américains !). Ou alors devrons-nous accepter que nous ne sommes que des locataires de la planète et qu’un avenir où l’humanité aura encore sa place devra se faire dans une certaine forme d’adaptation, et peut-être même dans la création d’un nouveau système auquel on aurait encore jamais pensé ? La question est vaste et je n’ai pas la prétention d’y répondre, néanmoins, si je ne dois dire qu’une chose… J’ai préféré le livre ! 

Publié dans Cinéma

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