FIN DE 3 JOURS DE COMBATS À BOMBAY : LE BILAN

Publié le par Anomalie



Il aura fallu plus de 60 heures aux forces militaires indiennes pour venir à bout des commandos islamistes, qui ont mené là l'une des attaques les plus complexes depuis le 11 septembre 2001. Le bilan officiel s’établit à 195 morts, dont huit Israéliens et 12 autres étrangers. Il ne fait désormais aucun doute que les attaques en différents points de la ville ont été minutieusement préparées depuis plusieurs mois. À mesure que les informations commencent à se recouper, il apparaît de plus en plus clair que les opérations portent la marque du djihadisme international : elles ont certes pu être réalisées par des « homegrown terrorists », mais ceux-ci ont bénéficié d’appuis extérieurs, probablement pakistanais. Claude Moniquet, président de l’ESISC, livre dans son dernier éditorial quelques enseignements de ce carnage.


 

Les « Moudjahidin du Deccan » sont une organisation inconnue. Il s’agit sans doute d’un nom fictif utilisé pour cette opération et servant à « couvrir » une autre organisation, dont tout porte à croire qu’il pourrait s’agir du Lashkar-e-Taiba (« Armée des Justes »), une organisation islamiste pakistanaise très active au Cachemire mais qui s’attaque également aux intérêts américains et occidentaux et à la présence chrétienne au Pakistan. Le Lashkar-e-Taiba est très lié à Al Qaida, qui utilise entre autres des maisons qu’il met à la disposition de l’organisation islamiste au Pakistan pour abriter certains de ses cadres.  


De nombreux éléments indiquent par ailleurs, quelle que soit l’identité des terroristes, que ceux-ci se rattachent à la « mouvance Al Qaida ». L’attaque simultanée de plusieurs cibles en des endroits éloignés les uns des autres, le nombre de personnes impliquées dans l’attaque, l’âge des terroristes – qui, d’après les premiers renseignements rendus publics, semblent avoir entre 20 et 25 ans – leur détermination et leur volonté de faire le maximum de victimes sont sans équivoque de ce point de vue.


De même, le fait d’avoir ciblé, entre autres, un centre communautaire juif, ce que n’aurait sans doute pas fait un groupe aux motivations purement locales, inscrit cette attaque dans le cadre du « djihad global ».



Il est possible que certains des attaquants ne soient pas indiens ou soient des Indiens nés et élevés à l’étranger (ainsi, une carte d’identité de l’île Maurice, où vit une importante communauté indienne, aurait été découverte sur le cadavre d’un des assaillants, rapportaient vendredi matin les agences de presse). La composition exacte de ce commando (nationalités, âge, origine géographique, « profil social ») livrera d’intéressantes clés d’analyse permettant d’évaluer ce qu’est aujourd’hui la scène islamiste indienne.


Dès le début de la crise, les autorités ont pointé la responsabilité du Pakistan. Nous estimons probable que tous ou certains des assaillants aient été formés au Pakistan ou en Afghanistan (comme l’avaient été, du reste, deux des terroristes du 7 juillet 2005, à Londres) car une telle opération ne peut se concevoir sans une longue préparation et un entraînement intensif des participants, mais il est peu probable que l’on se trouve en face d’un groupe composé dans sa totalité « d’étrangers ». Le noyau des attaquants doit être d’origine indienne et, en tout cas, des personnes connaissant très bien Mumbai ont dû participer à la  préparation de l’attaque.


 


Si plus personne ne se risque à défendre la thèse d’une attaque exclusivement « autochtone » perpétrée par les mudjahiddin indiens en vertu d'enjeux locaux, deux analyses divergent quant au degré d’implication du Pakistan dans ces attaques terroristes. La première pointe du doigt le Lashkar-e-Taiba, qui a longtemps bénéficié de l’appui des puissants services secrets pakistanais (ISI) et d’une complaisance de l’ancien pouvoir de Pervez Musharraf. Le groupe, qui est sans doute derrière la vague d’attaques terroristes qui touche également le Pakistan depuis plus d’un an, se serait aujourd’hui « autonomisé » de la tutelle de l’Etat. C’est cette analyse qui nous paraît la plus probable. La seconde pointe également le Lashkar-e-Taiba, mais souligne une implication forte de l’ISI et d’éléments islamistes de l’appareil bureaucratique de l’Etat pakistanais, afin de déstabiliser son voisin indien. Les éléments dont nous disposons aujourd’hui ne nous paraissent pas suffisants pour trancher entre l’une ou l’autre de ces analyses. Mais la configuration a changé depuis un an : une implication directe du Pakistan nous paraît en effet moins probable, puisque le pays est lui-même confronté à une double offensive généralisée de mouvements terroristes et djihadistes, et à une insurrection de mouvements islamistes d’obédience talibane menée depuis le sanctuaire tribal du Waziristan. Depuis un an, cette déclaration de guerre des islamistes et des terroristes au pouvoir pakistanais a fait plus de 1300 victimes. Il faut à ce titre lire l’intéressant papier publié hier par le Monde sous la plume de Frédéric Bobin, quant à l’implication de l’appareil d’Etat pakistanais dans ce 11 Septembre indien.



L’événement s’annonçait comme exceptionnel. Le Pakistan, mis en cause dans l’assaut terroriste contre Bombay par les médias et une partie de la classe politique indiennes, a consenti, vendredi 28 novembre, un geste sans précédent pour prouver sa bonne foi : le général Shuja Pasha, directeur général de l’InterService Intelligence (ISI) – les tout-puissants services secrets militaires pakistanais – se rendrait en Inde pour s'expliquer. « Nous n'avons rien à cacher » a commenté un officiel à Islamabad, cité par le quotidien pakistanais Dawn.


La requête, formulée par le Premier ministre indien Manmohan Singh, avait été acceptée par son homologue pakistanais, Youssouf Reza Gilani. Les deux hommes s’étaient parlé au téléphone au plus fort de la crise de Bombay. Accusations d'un côté, contacts téléphoniques au plus haut niveau de l’autre : les derniers jours ont prouvé à quel point la relation indo-pakistanaise est ambivalente. Rivaux historiques, depuis la partition sanglante de l’Empire britannique des Indes en 1947, tout en étant liés par une volonté de dialogue. Certes, l’annonce a fait long feu. Finalement, le patron des services secrets pakistanais n’ira pas en Inde. Un symbole s’évanouit. À en croire la presse pakistanaise, la perspective d’une telle visite s’est heurtée à de vives résistances à Islamabad. Un ex-chef de l’ISI, Hamid Gul, proche des islamistes, a comparé ce projet de visite à une « convocation » par les Indiens. Mais si le général Shuja Pasha s’est décommandé, un « représentant » de l’ISI se déplacera bien à New Delhi. Les deux pays avaient récemment mis au point un « mécanisme » de consultation sur le terrorisme : L’épisode de Bombay en fournit les premiers travaux pratiques.


La ligne de défense des autorités pakistanaises est déjà connue : la mise en cause du Lashkar-e-Taiba, le groupe djihadiste basé au Pakistan qui aurait planifié et exécuté l’attaque contre Bombay, selon la police indienne, ne prouve rien. Le président pakistanais lui-même, Asif Ali Zardari, parle « d’acteurs non-étatiques ». Les Indiens, mais aussi les Américains, sont sceptiques. Car ces « acteurs non-étatiques » ont longtemps été couvés et soutenus en sous-main par les services secrets de l'armée pakistanaise.


La connexion a connu son heure de gloire à l’époque de la guerre antisoviétique en Afghanistan, avec la bénédiction de la CIA. Puis elle s’est perpétuée après la chute du régime communiste en Afghanistan, en 1992, jusqu’à la mise sur orbite des talibans afghans. Ces derniers, sous l’influence du « parrain » pakistanais, ont rapproché Kaboul d’Islamabad. Le Lashkar-e-Taiba, installé à Lahore, opérait sur l’autre frontière – orientale – en harcelant, au Cachemire, les troupes indiennes pour le compte de l’armée pakistanaise. Un autre groupe, le Jaish-e-Mohammed, né à Karachi, a aussi multiplié les incursions militaires au Cachemire indien. Au Pakistan, l’histoire de la manipulation de groupes djihadistes par l’ISI pour servir les intérêts stratégiques régionaux d’Islamabad est connue et dûment chroniquée.



Après son élection, en septembre, le nouveau président pakistanais, Ali Asif Zardari, a cherché à rompre avec la duplicité de son prédécesseur, le général Pervez Musharraf. Après le 11-Septembre, ce dernier avait affiché un soutien de façade à la « guerre contre la terreur » menée par les Américains, tout en laissant ses services secrets entretenir de bonnes relations avec certains groupes islamistes, notamment dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan.


La tâche du nouveau pouvoir civil est difficile. Il apparaît bien fragile face à un ISI qui dispose d’un solide enracinement dans l’appareil bureaucratico-militaire d’Islamabad et dans les réseaux islamistes. « Tels des mini-féodalités, il y a des acteurs qui défient l’Etat et menacent les décisions du gouvernement », a écrit, vendredi, le chroniqueur Aneela Babar dans le quotidien pakistanais Dawn.


Islamabad parviendra-t-il à purger ces « mini-féodalités » ? C’est tout l'enjeu de la lutte contre le terrorisme régional, mais aussi international, qui prend sa source dans eaux troubles du Pakistan. La grande difficulté pour les nouveaux dirigeants pakistanais est de redéfinir la doctrine stratégique qui a historiquement tissé la connexion entre l’ISI et les groupes islamistes. Au cœur de cette vision des intérêts supérieurs de l’Etat pakistanais, il y a l’idée que l’Afghanistan doit être « finlandisé » pour offrir une « profondeur stratégique » en cas de conflit ave l’Inde. La fabrication du mouvement des talibans – des Pachtounes chargés d’arrimer Kaboul dans l’orbite pakistanaise – a obéi à cet impératif.


Les Américains sont en train d’en tirer les conséquences. Résolu à recentrer le combat antiterroriste sur l’Afghanistan, et non plus sur l’Irak, Barack Obama a compris qu’il n'y parviendrait pas sans désamorcer parallèlement l’inquiétude stratégique pakistanaise. En d’autres termes, il faut réconcilier l’Inde et le Pakistan, en réglant par exemple la question du Cachemire, pour en finir avec la politique afghane d’Islamabad et son cortège de groupes islamistes supplétifs, ceux-là mêmes qui cherchent ensuite à « sanctuariser » les zones tribales pachtounes. Ce basculement, voulu par M. Obama, est un défi lancé à ces groupes. Les inspirateurs de l’assaut de Bombay, en réveillant l’animosité entre l’Inde et le Pakistan, pourraient chercher à saboter ce nouveau cours.



Souces : Le Monde | ESISC


Publié dans Islam et islamisme

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