ISRAËL : LAÏCS, RELIGIEUX, L’AUTRE CONFLIT

Publié le par Anomalie

Un article de Rue89 | Par Pierre Haski | 26/10/2008 |


Marius Schattner a dédié son livre à ses petits-enfants « en espérant qu’ils pourront un jour lire les albums de Babar ». Il ne s'agit pas d'une boutade, mais du drame personnel de l'auteur, un journaliste israélien de gauche et laïc, dont la fille est devenue religieuse, juive ultra-orthodoxe, et, entre autres, interdit à ses enfants d'écouter les histoires de Babar racontées par leur grand-père francophone… Ce serait anecdotique si ce n'était l'enjeu de l'autre conflit d'Israël, comme l'indique le titre du livre :
laïcs contre religieux.


L'auteur de
Israël, l'autre conflit reconnaît qu'il ne prétend pas à la neutralité, en rêvant d'un autre judaïsme, voire d'un autre Israël. Mais il a aussi fait un travail rigoureux, une plongée dans l'histoire du mouvement sioniste, remontant jusqu'à ses racines européennes au XIXe siècle, pour retracer cette fracture ancienne et durable entre les mondes laïc et religieux. L'actualité de cette étude est évidente, avec le rôle de deux partis religieux dans la tenue d'élections anticipées en Israël. Passés maîtres dans le chantage politico-financier, ces partis sont au cœur de cette problématique qui pèse sur la vie politique israélienne, mais aussi sur l'évolution de cette société dans laquelle la cohabitation entre laïcs et religieux n'est pas toujours simple, même si elle est moins connue à l'extérieur que l'enjeu plus classique israélo-palestinien.


Marius Schattner apporte plusieurs clés de compréhension de ce conflit, en particulier la distinction entre d'un côté un sionisme religieux qui a accompagné depuis longtemps la construction de l'Etat juif et qui a connu un grand essor après l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza à partir de 1967 et avec le mouvement de colonisation, et de l'autre un
ultranationalisme au nom de la Torah, qu'il juge autrement plus dangereux. Entre dans cette dernière catégorie : l'assassin du Premier ministre Yitzhak Rabin en 1995, et sans doute les auteurs de la tentative d'attentat contre l'universitaire pacifiste Zeev Sternhell tout récemment.


Pour Marius Schattner, ces actes révèlent :



Le potentiel dévastateur du mélange de nationalisme et de religion, quand brader la moindre parcelle d'Eretz Israël est considéré comme pire qu'une trahison : un sacrilège.


Et dans ce contexte, alors que chacun sait en Israël qu'une paix réelle ne se fera qu'au prix de concessions importantes, y compris dans la ville sacrée de Jérusalem, la montée en puissance de ce nationalisme religieux porte en elle les germes des crises à venir :


On peut imaginer ce qui risque de se passer quand il faudra évacuer non point 8000 colons de la bande de Gaza, mais au moins vingt fois plus de Judée Samarie (Cisjordanie), territoire avec lequel le lien religieux et historique est beaucoup plus fort, émaillé qu'il est de lieux saints traditionnels comme le Caveau des patriarches à Hébron, ou redécouverts depuis 1967, sans compter le Lieu saint par excellence, le mont du Temple à Jérusalem, site de l'Esplanade des mosquées.


Par-delà l'attache à des lieux aussi sacrés, la question se pose de savoir pourquoi la religion juive, dans sa version dominante en Israël, se prête à une telle alliance avec le nationalisme le plus extrême. Marius Schattner rappelle justement qu'une telle alliance n'est pas inhérente au fait religieux, et cite le regretté professeur Yeshayahou Leibowitz (1903-1993), figure intellectuelle et religieuse majeure, resté célèbre pour avoir pronostiqué dès 1967 qu'Israël commettait une erreur capitale en décidant de profiter de sa victoire militaire pour occuper durablement les territoires palestiniens.


Une partie des clés se trouvent effectivement dans l'Histoire. Mais aussi dans les compromis historiques noués à la naissance de l'Etat juif en 1948, et qui expliquent pourquoi, jusqu'à ce jour, il n'existe toujours pas de constitution en Israël. Et ce journaliste qui s'avoue volontiers post-sioniste plutôt qu'anti-sioniste, reconnaît que la montée en puissance du monde religieux marque l'échec d'une certaine évolution de la société israélienne. C'est cette perte de repères qui ouvre le boulevard à un monde religieux cohérent et globalisant, capable de séduire les plus jeunes, à commencer par la propre fille de l'auteur, aujourd'hui résidente de Mea Shearim, le quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem. Pour Marius Schattner :


Le mouvement de « retour » au judaïsme orthodoxe s'accorde avec la montée de l'individualisme, avec la déperdition des idéologies collectives et la fragmentation de la société : toutes les caractéristiques de la modernité qui s'appliquent à Israël. Fait remarquable, au cours des dernières années, ce sont les mouvements religieux les moins politiques comme le courant Braslav du hassidisme, qui attirent les plus jeunes, sans compter la vogue pour la Cabale, version Madonna, et autres mysticismes façon New Age, à l'extrême limite du judaïsme.


Cette réalité pèse sur la capacité d'Israël à faire des choix pour régler l'autre conflit, celui qui l'oppose à ses voisins arabes, à commencer par les Palestiniens. Il y a peu, Ehud Olmert, le Premier ministre démissionnaire mais toujours en fonction, se prononçait pour des concessions audacieuses pour parvenir à la paix, y compris la division de Jérusalem, tabou suprême. Cruelle ironie, c'est seulement lorsqu'il n'a plus les moyens politiques de les mettre en œuvre que Olmert avance ces idées… Alors qu'Israël va affronter de nouvelles élections générales, cette fracture laïcs-religieux ne risque pas de se réduire, restant l'un des obstacles – ce n'est pas le seul… – sur le chemin de la paix.


La conclusion de Marius Schattner se veut optimiste. À long terme :


Au lieu d'une alliance mortifère entre foi et nationalisme, pourquoi pas une symbiose ou du moins un modus vivendi, ou a minima un « consensus conflictuel » entre les Lumières et un certain judaïsme de la Torah, fondé sur un double rejet de la « barbarie » ? C'est peut-être irréaliste, mais on a vu d'autres rêves se réaliser. Et puis l'alternative est par trop désespérante.

 

Les petits-enfants de Marius ne sont pas près de lire les aventures de Babar…



Israël, l'autre conflit de Marius Schattner, André Versaille éditeur, 392 pp.

 


 

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L
<br /> <br /> Lettre de Saint-Jean-d’Acre : Juifs et Arabes, une cohabitation saccagéepublié le dimanche 19 octobre 2008 <br /> par Joseph Algazy <br />  <br /> D’ordinaire, la semaine de la fête juive des Tabernacles (Soukot) constitue un événement dans la ville mixte – judéo-arabe – de Saint-Jean-d’Acre, dite ici Acco : pleine à craquer, elle accueille des visiteurs venus de tous les coins du pays, attirés par la beauté des lieux, les anciennes murailles de son fort, le dédale des étroites ruelles de la vieille ville, le souk avec ses boutiques et ses étalages débordant de poissons, de légumes, de fruits et de friandises orientales, le petit port de pêche, les églises et les mosquées, le festival de théâtre annuel, les commerçants charmeurs…<br /> <br /> Rien de tel cette année. La ville semble triste et inquiète. Et pour cause : elle sort de graves troubles intercommunautaires, qui ont éclaté la nuit de Kippour, le jour du grand Pardon (8 octobre) et ont duré trois jours. Tout a commencé lorsque Toufiq el-Jdamal, un citoyen arabe accompagné de son fils, a décidé, vers minuit, de ramener en voiture à la maison sa fille, qui se trouvait chez des proches dans le quartier populaire à l’Est de la ville où vivent Juifs et Arabes de catégories modestes.<br /> Il faut savoir que, depuis des années, une coutume sinistre s’est imposée dans le pays : tout véhicule, ambulance comprise, circulant le jour de Kippour risque d’être attaqué à coups de pierres. Chauffeur, médecin, infirmier, malade, chacun peut en être victime. C’est exactement ce qui s’est produit le 8 octobre : une foule excitée a attaqué le chauffeur et son fils, qui ont échappé au lynchage par miracle - un Juif chargé de surveiller une maison en construction a caché le père, des agents de police ont réussi à faire fuir le fils.<br /> L’affaire ne s’est pas arrêtée là. Trois jours durant, des maisons arabes du quartier ont été saccagées, et leurs habitants attaqués. Seize familles arabes ont dû fuir : elles ont trouvé refuge dans un hôtel, dans des monastères de l’ancienne ville et chez des proches. Certaines de leurs demeures ont été pillées, et l’une d’elles incendiée. Des voitures ont été détruites. Plus tard, des femmes et des enfants qui tentaient de repasser chez eux pour récupérer des vêtements ont été molestés.<br /> A l’annonce de l’attaque de la première nuit, et sur la foi d’une rumeur parlant (à tort) d’un mort, de jeunes Arabes sont accourus sur les lieux. Ils se sont livrés à des violences qui n’ont toutefois pas fait de blessés graves. Certains ont assouvi leur colère et se sont vengés en fracassant des vitrines de magasins juifs du centre-ville.<br /> On a reproché aux forces de l’ordre d’avoir laissé faire les émeutiers au début des troubles. Rien de surprenant : la police et l’armée ont tendance à ne pas intervenir quand des Arabes sont attaqués. Courante en Israël même, cette pratique l’est a fortiori dans les territoires palestiniens occupés lorsque des colons attaquent des Palestiniens.<br /> Police et médias ont répliqué en accusant Toufiq el-Jdamal d’avoir mis le feu aux poudres. Ses propos à la séance de la commission des affaires internes du Parlement, la Knesset, lui ont pourtant valu la considération des Juifs comme des Arabes. « Si je suis vraiment la cause des troubles à Saint-Jean-d’Acre, a-t-il déclaré, je suis prêt, afin de calmer les esprits, à ce qu’on me coupe la gorge. » Devant la mobilisation des députés d’extrême droite, la police l’a arrêté et a monté de toutes pièces un dossier contre lui : elle avait trouvé un bouc émissaire. Avec lui, elle a raflé aussi quarante personnes, Juifs et Arabes, suspectes d’avoir participé aux émeutes.<br /> « Une ligne de démarcation virtuelle »<br /> Plusieurs responsables de la communauté arabe se sont alors réunis et ont lancé un appel à la population juive de la ville. Ils ont rappelé que, depuis toujours, les citoyens arabes respectent les sentiments religieux de leurs compatriotes juifs. C’est pourquoi ils ont critiqué le chauffeur qui avait conduit sa voiture au cours de la nuit de Kippour. Ils ont condamné les jeunes Arabes qui ont causé des dégâts en ville, mais aussi les attaques contre des habitants arabes innocents, les vexations qui leur ont été infligées et la destruction de leurs biens. Dans leur texte, ils se sont toutefois abstenus d’utiliser le terme « pogrom », employé par certains, afin de ne pas verser d’huile sur le feu.<br /> Lorsque je suis arrivé à Saint-Jean-d’Acre, le 15 octobre, il y avait très peu de voyageurs dans le train. A la sortie de la gare, les chauffeurs de taxi arabes s’inquiétaient de cette pénurie de clients. Certains criaient : « Soyez les bienvenus, vous allez apporter avec vous la paix ! » Celui qui me conduisait au « square du canon », où des jeunes du mouvement de jeunesse Hashomer Hatzaïr avaient érigé une « tente de l’amitié » (le Parti communiste, lui aussi, en a monté une), m’a confié : « Le drame de Kippour a tracé ici une ligne de démarcation virtuelle, qui sépare désormais les deux parties de la ville. Si tu vas dans les quartiers de l’Est, tu ne rencontreras pas un seul Arabe. Et si tu te balades dans la vieille ville, c’est à peine si tu verras des Juifs. D’habitude, durant les jours de la fête de Soukot, plein de Juifs visitent l’ancienne cité. Cette année, nous tous payons cher les troubles qui ont sévi ici. Et la décision de la mairie d’annuler le festival annuel de théâtre a aggravé notre situation. Ne t’étonne pas de rencontrer beaucoup de policiers. Malheureusement, ceux-ci sont intervenus trop tard. »<br /> Saint-Jean-d’Acre compte 52 000 habitants. C’est une ville pauvre. A en croire les statistiques officielles, 8 % de la population active souffre du chômage. Et le revenu moyen par habitant est inférieur de 16 % à la moyenne nationale (il faut dire que près de la moitié des salariés atteignent à peine le salaire minimum). L’extrême droite juive canalise d’une manière démagogique le mécontentement et la frustration des couches juives démunies vers la haine et la violence contre les Arabes. Désormais fréquent, le slogan « Mort aux Arabes ! » a souvent retenti durant les émeutes de Saint-Jean-d’Acre – même la télévision s’en est faite l’écho.<br /> La situation des 28 % d’habitants arabes est pire encore, en particulier pour ceux qui habitent la vieille ville, où sévissent misère, détresse et insalubrité. Plusieurs familles vivent (si cela s’appelle vivre) dans des maisons qui menacent de s’effondrer. Connaissant depuis longtemps les conditions de vie des habitants de l’ancienne ville, je peux témoigner qu’elles n’ont cessé d’empirer.<br /> Si les responsables arabes ont tenté de calmer le jeu, cela n’a pas toujours été le cas du côté juif extrémiste. Les médias et Internet ont relayé des appels exhortant au boycottage des commerçants arabes. L’extrême droite, à l’approche des élections municipales prévues le 11 novembre, a exigé et obtenu du maire, Shimon Lankri, l’annulation du festival annuel de théâtre. Plusieurs personnalités juives et arabes ont d’ailleurs condamné cette décision, et des artistes, refusant de s’y plier, ont organisé des activités artistiques alternatives.<br /> « Acco, c’est Eretz-Israël dans dix ans »<br /> Les troubles de Saint-Jean-d’Acre ne représentent pas, hélas, un phénomène isolé. Le risque est grand qu’ils se reproduisent, ici mais aussi dans d’autres villes mixtes à forte minorité arabe, comme Jaffa, Lod et Ramleh. Certains ne se cachent pas de vouloir en provoquer. C’est ainsi que le site d’Arouts 7 (Chaîne 7), l’un des médias les plus virulents de l’extrême droite juive en Israël, citait le 11 octobre Yossef Stern, le rabbin de la yeshiva (école religieuse) du quartier Est où les violences ont éclaté.<br /> « J’ai réuni la yeshiva, racontait-il. Nous sommes sortis dans les rues. Nous avons fait descendre les gens dans les rues, bien qu’il se soit agi du jour de Kippour et qu’on jeûne, car il fallait renforcer le peuple d’Israël et élever son moral. Acco est un lieu d’épreuve. Acco, c’est Eretz-Israël dans dix ans. Ce qui se passe à Acco aujourd’hui, c’est ce qui se passera alors en Israël. Nous sommes le front qui fait honneur à l’Etat. La coexistence n’est qu’un slogan : Acco est comme d’autres villes en Israël, il faut sauvegarder son identité juive. Nous sommes ici pour sauvegarder l’identité juive. Dans le quartier, des maisons étaient mises en vente. La situation suivante se présentait : soit des Arabes achetaient ces maisons, soit des étudiants de la yeshiva les achetaient. Grâce à Dieu, récemment, trente familles des nôtres sont venues habiter ici. Aujourd’hui, nous construisons une nouvelle grande yeshiva et aussi un quartier destiné à des militaires de carrière. »<br /> Le but déclaré de cette yeshiva, créée en 2003, c’est donc bien de « judaïser » Saint-Jean-d’Acre. Ce faisant, les extrémistes juifs omettent, de fait, l’histoire de ces quartiers Est. Jusqu’en 1948, les terres sur lesquelles ces derniers furent bâtis dans les années 1950 appartenaient à un village palestinien nommé Al-Manshiyé, appelé aussi Manshiyet-Acca. Depuis la Nakba de 1948, cette bourgade a disparu et ses habitants ont trouvé refuge à Saint-Jean-d’Acre, dans certains villages voisins et, pour beaucoup d’entre eux, au Liban. Les descendants d’anciennes familles d’Al-Manshiyé possèdent même des documents prouvant que leurs terres étaient enregistrées au cadastre. C’est dire si les troubles ont ravivé chez les Arabes de la ville de douloureux souvenirs d’un passé pas si lointain.<br /> <br />  <br /> <br /> Joseph Algazy est journaliste à Tel-Aviv.<br /> publié par le Monde diplomatique et l'AFPS<br />
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A
<br /> VERS DES LÉGISLATIVES ANTICIPÉES EN ISRAËLAprès un mois de tractations sans succès pour former une coalition, Tzipi Livni, chef du parti au pouvoir Kadima, a fait savoir dimanche au président israélien Shimon Pérès qu'elle se résignait à des élections anticipées, sans doute en février. « Je ne suis pas prête à céder à des chantages politiques et budgétaires. C'est pourquoi nous nous dirigeons vers des élections. Je n'en ai pas peur », a déclaré la ministre des Affaires étrangères au quotidien Haaretz, faisant allusion aux demandes de deux partis religieux ultra-orthodoxes, Shass et la Liste unifiée de la Torah.<br />
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