LE CAPITAINE EST PARTI DÉJEUNER...

Publié le par Anomalie

 

Il y a quelques semaines, farfouillant sur le net à la recherche d’une hypothétique nouveauté sur le plus grand écrivain américain (vous avez reconnu Bukowski… Sinon vous n’avez rien à faire sur ce blog !), je suis tombé sur un bon petit site de passionné, que je me suis empressé de mettre en lien. Je reprends ici les plus belles pages du chef d’œuvre le plus poignant de Hank, le Capitaine est sorti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau, compilées par l’auteur de ce blog.


Comme souvent, c'est à la demande de son éditeur que Charles Bukowski s'est penché sur cet ouvrage quelques années avant sa mort. A cette époque, l'écrivain se savait condamné par la maladie, et c'est encore plus vive et poignante que l’on retrouve sa légendaire liberté de ton. Le capitaine est parti déjeuner... se présente sous la forme d'un journal intime rédigé durant un an et demi, entre août 1991 et février 1993 ; Buk raconte les derniers mois de son existence, sans jérémiades, l'écrivain attend la mort mais trouve le courage de regarder une dernière fois la vie en face, droit dans les yeux. Dans ce livre, Bukowski est plus touchant que jamais, sa fragilité et sa sagesse l'amènent à des réflexions d'ordre métaphysique dont la justesse nous percute à chaque paragraphe.

 
« (...) Se lamenter sur un cadavre est aussi inconséquent que de verser des larmes sur une fleur qu'on vient de couper. L'horreur, ce n'est pas la mort mais la vie que mènent les gens avant de rendre leur dernier soupir. Ils n'ont aucune considération pour elle et ne cessent de lui pisser, de lui chier dessus. Des copulateurs sans conscience. Ils ne s'obsèdent que sur la baise, le cinoche, le fric, la famille, tout ce qui tourne autour du sexe. Sous leur crâne, on ne trouve que du coton. Ils gobent tout, Dieu comme la patrie, sans jamais se poser la moindre question. Mieux, ils ont vite oublié ce que penser voulait dire, préférant abandonner à d'autres le soin de le faire. Du coton, vous dis-je, plein le cerveau ! Ils respirent la laideur, parlent et se déplacent de manière tout aussi hideuse. Faites leur donc entendre de la bonne musique, eh bien ils se gratteront l'oreille. La majorité des morts l'étaient déjà de leur vivant. Le jour venu, ils n'ont pas senti la différence (...) ».

 
« (...) Vieillir est très étrange. Pour l'essentiel parce qu'on passe son temps à se répéter qu'on se décatit, qu'on décline. Ainsi, à chaque fois que je me retrouve sur l'escalator d'Hollywood Park, je ne peux m'empêcher de m'examiner dans l'un des miroirs latéraux. Au vrai, je n'y vais pas franco, je l'attaque de biais. Par en dessous, avec un demi-sourire prudent. Eh bien rassure-toi, c'est moins désastreux que tu l'avais imaginé, même si tu ressembles à une bougie qui aurait perdu sa mèche. Tant pis ! T'as quand même baisé les dieux et fait la nique à la marche du temps. Logiquement, on aurait dû t'enterrer voilà trente-deux ans. Je me suis offert un rab d'atmosphère, un surplus de périscope sur l'inhumaine comédie (...) ».




« (...) Je n'ai jamais placé mes espoirs dans la raison ou dans la justice. Jamais, au grand jamais. Peut-être cela explique-t-il pourquoi je me suis toujours gardé d'écrire des livres à thèse. Pour moi, la communauté tout entière est frappée de non-sens, et personne n'y changera quoique ce soit. On perd son temps à vouloir bonifier quelque chose d'aussi stérile (...) ».

 
« (...) Quoi ? J'aurais pu être utile à quelque chose ? Avocat ? Médecin ? Sénateur ? De la foutaise, comme le reste. Ils se croient le nez hors de la merde alors qu'ils en bouffent tant et plus. Ils se sont piégés dans leur propre système, et ils ne peuvent plus en sortir. D'ailleurs, quasiment aucun d'eux n'aime ce qu'il fait. Mais quelle importance, puisqu'ils se calfeutrent dans un cocon (...) ».

 
« (...) L'univers tient dans un gros sac de merde déchiré de partout et jamais rafistolé. Je ne peux rien y changer. Toutefois, si j'en crois les lettres que je reçois, mes livres auraient tiré pas mal de gens d'un mauvais pas. Tel n'était pas mon but, je n'écris que pour me sauver moi-même. J'ai toujours été asocial, et jamais je ne me suis adapté. Dès l'école, j'ai découvert ma marginalité. Ne serait-ce que parce que j'y ai appris que je ne pouvais apprendre que lentement. Les autres élèves enregistraient tout au quart de seconde, pas moi qui ne retenais que dalle. Pas la moindre bribe de savoir qui ne m'apparaissait baignant dans une lumière crépusculaire et intimidante. J'avais tout du fou. Sauf que, même lorsque j'offrais les apparences de la déraison, je savais que la réalité était plus complexe. Dans un recoin de mon être, j'avais réussi à dissimuler de quoi me protéger, un petit rien insaisissable (...) ».

 

 

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