ENTRETIEN POSTHUME AVEC VOLTAIRE

Publié le par Anomalie

Le journaliste et écrivain Dominique Jamet avait imaginé, pour Marianne, une série d'entretiens posthumes avec les plus grands écrivains et penseurs de langue française. Pour ceux qui n'avaient pas eu la chance de les lire en 2006, Marianne les republie sur son site dans leur intégralité. Voici l’interview posthume de Voltaire par Dominique Jamet : « on ne me fera pas taire ».



La casquette enfoncée sur la tête, le regard masqué par des lunettes noires, Voltaire est méconnaissable, à telle enseigne que je passe deux fois devant sa table, au premier étage du Procope, sans l'identifier. Enfin, l'une des deux armoires à glace qui l'encadrent en toute discrétion se lève et me conduit jusqu'à lui. Là, je le reconnais à son sourire. Je note qu'il a retrouvé toutes ses dents.


Pourquoi ce déguisement ? Craindriez-vous les débordements de vos fans ?


Ce ne sont point mes fans, comme vous dites, qui me font peur, mais bien les fanatiques. Je partage, vous le savez peut-être, avec Salman Rushdie, Taslima Nasreen, Ayaan Hirsi Ali et quelques autres l'insigne honneur d'être désigné par une fatwa comme un chien d'infidèle, un impie, blasphémateur de Dieu et de son Prophète, dont le meurtrier bénéficiera d'un billet de faveur pour le paradis où l'accueilleront 36 vierges. Pour moi, je ne tiens pas à partager le sort de Théo Van Gogh. On assure que les cadavres sont indispensables aux progrès de la science. Je ne pense pas que le mien puisse faire avancer la cause de la liberté. Je me crois plus utile vivant que mort. Et puis, je l'avoue, bien que ma santé, toujours aussi détestable, me mette depuis plus de trois cents ans aux portes du tombeau, j'ai la faiblesse de tenir à la vie.

 

 

Mais quelle idée aussi de vous en prendre à l'une des trois grandes religions du Livre, à la deuxième religion pratiquée en France !


L'amusant est que, lorsque j'ai écrit Mahomet, dans l'impossibilité où j'étais d'attaquer l'Eglise de Rome, le souverain pontife, ses derviches, ses dévots, ses anathèmes, ses excommunications et ses crimes sans encourir ses foudres et m'attirer sa censure, je la visais sous le travestissement alors commode de l'islam et de ses sectateurs. Qui eût cru alors qu'en Europe, au début du XXIe siècle, ceux qui osent dire la vérité sur la secte mahométane, ses impostures, ses absurdités et ses forfaits en seraient réduits, sous peine de mourir, à vivre cachés et sous la protection de la police ?

 

 

Diriez-vous avec Michel Houellebecq que « l'islam est la religion la plus con » ?


Ce petit Houellebecq, qui a plus d'intelligence que de style et de talent que de jugement, me paraît avoir dit là une grande sottise. Les trois grandes religions révélées me semblent également ineptes. Toutes les trois reposent sur des fables que ne croirait pas un enfant. Elles font mêmement appel à la superstition, elles reposent sur la crainte, elles incitent les hommes à remettre leur destin et leur salut entre les mains de prêtres qui se prétendent les intermédiaires entre le Créateur et ses créatures, elles encouragent l'ignorance, sécrètent l'hypocrisie et déchaînent le fanatisme. De ce point de vue, les adorateurs de Jésus ou de Jéhovah n'ont rien à envier aux disciples du Prophète. Ce n'est pas la méchanceté qui leur manque, mais la capacité de nuire. Ce ne sont pas eux qui ont changé, mais nos moeurs et nos lois. Ils ne demandent qu'à mordre et il ne tient pas à eux qu'on leur ait enlevé leurs poches à venin. Il n'est que de voir, dès que l'occasion s'en présente, comme les rabbins, les imams et nos prêtres montrent les crocs, comme ils s'entendent, d'accord aujourd'hui comme hier, pour réclamer l'interdiction des livres, des caricatures, des images et des mots qui leur déplaisent et, selon eux, irritent ce Dieu qu'ils ont créé à leur image, inconséquent, cruel, jaloux, ridicule et pervers. Ce Dieu qui autorise des souffrances qu'il pourrait empêcher, ce Dieu qui nous interdit des plaisirs dont il nous a donné le goût, ce Dieu qui nous tient coupables de péchés que nous n'avons pas commis, ce Dieu-là, vous le savez, n'est pas le mien.

 

 

Vous qui avez toujours prétendu braver les puissants et qui l'avez souvent prouvé, fût-ce à vos dépens, vous avez écrit des choses terribles et infamantes sur les juifs : « Un juif, n'étant d'autre pays que de celui où il gagne de l'argent ». Ou encore : « Il est un peuple obscur, imbécile, volage/Vaincu par ses voisins, rampant dans l'esclavage/Et l'éternel mépris des autres nations ».


Oui, cela montre assez que, fût-on décidé à lutter contre l'erreur, la sottise et l'injustice, il arrive que l'on ait l'esprit obscurci par les préjugés de son siècle. Ce sont des lignes que je ne peux relire sans honte.

 
 


Vous avez pris des parts dans une compagnie coloniale et vous vous êtes engraissé de la traite des Nègres. Vous n'avez jamais dit un mot contre l'esclavage...


Relisez-moi mieux. Mais il est vrai que je suis allé au plus urgent. Il fallait abolir la monarchie absolue, avant d'instaurer la République universelle. Il fallait rompre les chaînes du servage partout en Europe, avant de briser celles de l'esclavage dans le monde.

 

 

Vous avez toujours été un homme d'argent. Tout récemment encore, vous avez vendu un gros paquet de stock-options dans des conditions trop jolies pour être honnêtes…


Je ne me suis jamais caché d'aimer le confort, et il ne me semblerait pas scandaleux qu'un bon écrivain gagne plus d'argent qu'un méchant footballeur. Je n'ai eu de cesse, il est vrai, que je ne possédasse un château, aimant mieux y être l'hôte que l'invité. L'état de parasite n'était pas mon fait. Mais, si j'ai voulu devenir riche, ce n'était que pour être indépendant.

 

 

La France actuelle vous paraît-elle, comme on le dit communément, une République bananière, marquée par la corruption et le dérèglement des mœurs ?


Qui a vécu sous la Régence et sous Louis le Bien-Aimé ne peut que sourire d'une telle question.

 

 

Diriez-vous que nous vivons aujourd'hui dans un pays libre ?


Nous avons soupiré après les libertés que nous n'avions pas. Vous avez toutes les libertés et vous vous les laissez arracher une à une. Vous êtes comme des enfants qui n'attachent aucun prix à des jouets qu'ils ont obtenus sans effort. On vous écoute, on vous espionne, on vous fiche. Vous avez laissé passer des lois qui, avec les meilleures intentions du monde, ne pouvant faire que tout le monde pense à l'identique, prétendent imposer une expression unique à des pensées différentes. Cette oppression m'est insupportable. Pour ce qui est de moi, sachez-le, dussé-je une fois encore aller vivre de l'autre côté de la Manche, je ne suis pas né pour me taire

 

Publié dans Lire

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