JIM LOBE : «LE LIKOUD VEUT ENGAGER ISRAËL DANS LA VOIE DE L’APARTHEID»
Jim Lobe, chef du Bureau de Washington de l’agence de presse internationale Inter Press Service (IPS), est le meilleur observateur américain du néoconservatisme. Il est également un contributeur régulier du site Right Web, Political Research Associates. Dans un article publié sur son blog le 12 octobre 2008, il revient sur la radicalisation de la droite israélienne de Benyamin Netanyahu, sous la pression de l’extrême droite dont nous avons déjà détaillé le projet.
Article original : « Likud Wants to Go the Apartheid Route » ici.
Traduction française : Anomalie.
Je ne pouvais laisser s’achever la semaine sans noter l’interview très révélatrice accordée par le chef du Likoud et ancien Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu au Financial Times dans son édition du 7 octobre. L’interview confirme que Netanyahu – qui, d’après les derniers sondages, serait le grand favori si des élections législatives anticipées avaient lieu aujourd’hui – n’a aucun intérêt à une solution politique impliquant la coexistence de deux Etats, et souhaite le maintien des territoires palestiniens sous contrôle israélien, engageant de facto l’Etat hébreu sur le chemin d’un Etat d’Apartheid dont les enclaves palestiniennes seraient les bantoustans. L’article du Financial Times précise :
« M. Netanyahu veut voir la Cisjordanie divisée en un chapelet de zones économiques sans continuité territoriale auxquelles seraient attribués des business-projects spécifiques. La vieille ville de Jéricho, par exemple, pourrait tirer parti de sa proximité avec le Jourdain pour devenir un pôle d’attraction de touristes baptistes en provenance des Etats-Unis, dont le faucon israélien assure qu’il générerait des dizaines de milliers d’emplois. Les Palestiniens, ajoute M. Netanyahu, seraient autorisés à garder leur souveraineté sur les principaux centres urbains, mais d’autres régions de la Cisjordanie – comme le désert de Judée ou la vallée du Jourdain – doivent rester sous contrôle israélien. « Ces zones sont très importantes pour nous, car elles représentent notre ceinture de sécurité stratégique. Ce n’est pas tant la paix qui apporte la prospérité que la prospérité qui permet la paix », selon lui ».
Toutes ces proclamations sonnent, bien sûr, comme une recette permettant l’instauration progressive de bantoustans. Sauf qu’en lieu et place des casinos de Sun City à Bophuthatswana, M. Netanyahu propose le tourisme biblique à destination des chrétiens sionistes comme un moteur économique palestinien pour le développement. Netanyahu s’aligne ainsi clairement sur ce que les néoconservateurs n’ont cessé de faire depuis le 11 Septembre : subordonner le conflit israélo-palestinien à un « choc des civilisations », dans lequel le rôle naturel des Etats-Unis et de l’Occident est de soutenir inconditionnellement Israël. Citons encore le Financial Times :
« Résoudre le conflit entre Israël et les Palestiniens… est une question de second ordre, pour le leader du Likoud. « La question pour moi n’est pas le problème palestinien. Je pense que le conflit doit être replacé dans le cadre global de la lutte entre l’islam radical et le monde occidental », affirme-il. [Note de l’éditeur : certains doutent-ils que la distribution massive du film « Obsession » aux Etats-Unis et à l’étranger sert admirablement le Likoud de manière opportune ?]1. Redonner aux Palestiniens le contrôle des territoires occupés par Israël, dans le cadre d’un accord de paix, reviendrait à renforcer la main de l’Iran, fait valoir M. Netanyahu. « Toute zone de laquelle nous nous retirerons sera prise en charge par l’Iran et ses mandataires », ajoute-il, soulignant la reprise de la bande de Gaza par le Hamas l’an dernier. Le Liban, comme Gaza, sont devenus des bases-arrières iraniennes et, ils en obtiendront une troisième si l’on se retire de Cisjordanie ».
En somme, si Netanyahu redevient Premier ministre avec une légitimité politique suffisante (et le soutien des Etats-Unis), et s’il demeure fidèle à cette option géostratégique, alors le résultat inévitable sera, de fait, un Apartheid en Israël et, d’une façon ou d’une autre, la fin d’un Etat qui soit à la fois juif et démocratique. En effet, la plus grande menace pour l’existence d’un Israël démocratique ne réside clairement pas dans l’Iran et ses alliés, mais plutôt dans la nouvelle politique néoconservatrice du Likoud et ceux qui la soutiennent à l’étranger, notamment aux Etats-Unis.
À ce propos, revenons sur une étrange histoire relatée par The Forward [journal juif américain centenaire publié à New York, ndT], concernant un groupe américain appelé « Stand Up America », dirigé par deux généraux en retraite des Etats-Unis qui ont retenu les services d’un avocat américain pour représenter l’ancien ministre de la Défense israélien Shaul Mofaz dans son recours juridique après sa défaite lors des primaires de Kadima face à Tzipi Livni. Mofaz, bien sûr, représente l’aile droite du parti centriste, bien que, historiquement, son point de vue soit pratiquement indissociable de celui du Likoud et de Netanyahu. Ces deux généraux – Thomas McInerney et Paul Vallely – ont longtemps plaidé en faveur d’une attaque militaire contre l’Iran et ont été membres du Iraq Policy Committee, un groupe qui a fait pression (à ce jour sans succès) pour retirer le Mujahadin-e-Khalq de la liste des organisations terroristes du Département d’Etat et lui fournir une assistance politique et financière afin d’en faire « l’opposition démocratique » à la théocratie des Mollahs. Le but de « Stand Up America » est, selon McInerney, de « protéger l’Amérique et d’aider l’opinion à prendre conscience des dangers de l’islam radical et de la gravité du djihad mondial ».
« Nous ne voulons pas d’un gouvernement en Israël qui appuie l’apaisement », a déclaré à The Forward McInerney. « Nous pensons qu’il est minuit moins cinq, que nous sommes en 1938, mais que tout le monde est dans le déni ». Le dernier voyage en Israël des deux généraux a été parrainé par l’American Israel Education Foundation, une filiale de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC).